
Depuis son arrivée à la tête de la maison Dior en 2016, Maria Grazia Chiuri s’est affirmée comme bien plus qu’une créatrice : une voix engagée, une penseuse de la mode, une militante silencieuse mais déterminée. Première femme à diriger la création de Dior dans toute l’histoire de la maison, elle a immédiatement insufflé une vision résolument féministe, revendiquant une mode qui parle, qui réfléchit, et qui prend position.

Une créatrice qui inscrit le message dans la matière
Dès son premier défilé, Chiuri a frappé fort. Le désormais emblématique t-shirt « We Should All Be Feminists », inspiré de l’essai de Chimamanda Ngozi Adichie, a marqué les esprits. Non comme un simple coup marketing, mais comme une véritable déclaration d’intention. Elle prend un basique: le t-shirt et en fait un vecteur d’idée, un manifeste portable, brouillant volontairement les frontières entre l’intime et le public, le vêtement et la parole.
Loin d’un produit générique, ces t-shirts sont pensés avec le même niveau d’exigence qu’une robe de haute couture : coton biologique sélectionné avec soin, typographie dessinée spécifiquement, broderies fines ou flocages exécutés avec précision, et finitions réalisées à la main. Tout est pensé pour affirmer que le message n’est pas jetable il est porté, transmis, incarné.
Un dialogue constant avec les penseuses, les artistes et les artisanes

Mais Maria Grazia Chiuri ne s’arrête pas aux slogans. Son travail s’inscrit dans une réflexion profonde, nourrie par la collaboration avec des intellectuelles, artistes et activistes féministes. Elle a travaillé avec Judy Chicago, figure majeure du féminisme artistique, ou encore Linda Nochlin, historienne de l’art qui questionne la place des femmes dans l’histoire visuelle occidentale. Ces collaborations donnent naissance à des scénographies puissantes, des défilés transformés en espaces de réflexion, où l’on ne vient pas simplement consommer du beau mais ressentir, questionner, penser. En parallèle, Chiuri œuvre à la valorisation des savoir-faire artisanaux féminins, longtemps relégués à la périphérie de la mode de luxe. Elle travaille en étroite collaboration avec la Chanakya School of Craft à Mumbai, qui forme des femmes indiennes à des techniques de broderie traditionnelles d’une grande finesse. En réinsérant ces savoirs dans les pièces Dior jupes plissées, capes brodées, vestes tissées à la main , elle affirme que la haute couture ne peut plus être dissociée de l’éthique, de la transmission et de la reconnaissance du travail invisible des femmes.
Une mode féministe, inclusive et profondément contemporaine
Ce que Maria Grazia Chiuri défend avec constance, c’est une mode féministe au sens large : non pas militante au premier degré, mais engagée dans une remise en cause des hiérarchies entre le masculin et le féminin, l’artiste et l’artisan, l’Occident et les autres cultures, la parole intellectuelle et l’émotion sensible. Elle refuse la vision d’une mode qui se contente d’habiller : elle veut donner du sens, du contexte, de la mémoire aux vêtements.
Son féminisme est aussi inclusif et collaboratif. Elle interroge la notion même de muse souvent passive en proposant des alliances actives avec des femmes de pensée et de pratique, issues de contextes variés. Chaque collection devient une plateforme de dialogue, un carrefour d’histoires entrelacées.

Beauté et engagement : une alliance, pas un compromis
Contrairement à l’idée reçue selon laquelle une mode engagée serait forcément austère, Maria Grazia Chiuri prouve qu’il est possible de concilier l’esthétique et le politique. Ses défilés restent somptueux, les coupes précises, les tissus somptueux, les silhouettes puissantes. Mais derrière chaque jupe plissée, chaque bustier brodé, il y a un discours, un ancrage, une volonté de transmission.

Conclusion : une mode qui pense, qui relie, qui transforme
Avec Maria Grazia Chiuri, la mode redevient un lieu de pensée, un territoire d’action, un espace d’émancipation. Elle ne se contente pas de répondre aux tendances : elle crée du sens, ouvre des dialogues, répare des oublis. En ce sens, son travail chez Dior dépasse le simple cadre du vêtement pour devenir un acte culturel et politique, où le beau n’est jamais vide, mais toujours porteur d’un message. Une mode qui ne se contente plus de faire rêver, mais qui incite aussi à réfléchir.

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